Carte Blanche à Laurent Giros - MATISSE / PICASSO
Pour sa Carte blanche, Laurent Giros a choisi de mettre face à face deux grands maîtres de la peinture : Matisse et Picasso.
Il faut que nous discutions autant que nous pouvons. Quand l’un de nous mourra, il y aura certaines choses dont l’autre ne pourra plus parler avec personne. – Picasso à Matisse (ou peut-être Matisse à Picasso…)
1906, les deux artistes se rencontrent pour la première fois chez les Stein, des collectionneurs très avant-gardistes. Picasso est installé depuis deux ans seulement à Paris et parle encore mal le français. Son travail passe de la Période Bleue à la Période Rose, de la misère humaine à l’amour du cirque, tout en conservant une grande mélancolie. Plusieurs planches de l’exposition illustrent cette période clef, dont Les Saltimbanques, Deux acrobates avec un chien (1905), une aquatinte dont l’oeuvre d’origine est conservée au MoMA à New York. De 12 ans son aîné, Matisse a déjà fait exploser la couleur dans l’audace de sa période fauve. Picasso est fasciné par la nouveauté de cette peinture qu’il découvre chez les Stein.
Leur rencontre sera d’autant plus fertile que leurs personnalités sont aux antipodes. Entre le contemplatif Matisse et le bouillonnant Picasso – le pôle Nord et le pôle Sud – s’exerce une attraction déterminante. Les artistes vont s’observer, s’admirer et se combattre à travers d’intenses joutes artistiques.
En 1907, ils échangent un premier tableau, choisissant chacun une oeuvre soulignant sa différence envers l’autre. Matisse choisit une nature morte (Cruche, bol et citron), Picasso un portrait de Marguerite, qu’il conservera précieusement tout au long de sa vie. Matisse ne tarde pas à faire découvrir à Picasso les objets d’art africain qu’il collectionne, ce qui aidera Picasso à faire exploser les codes de la peinture dans Les Demoiselles d’Avignon. Il lui présente aussi Sergueï Chtchoukine, son richissime mécène russe, partage ses connaissances et ses découvertes.
Le vorace Picasso puise sans complexe à la source matissienne. Parfois trop au goût de son aîné qui écrit à sa fille « je ne tiens pas à revoir Picasso. C’est un bandit embusqué ». Il ne digère pas l’exposition, en 1925, d’une Odalisque au Tambourin : Picasso lui a volé ses Odalisques ! Matisse répond à distance avec une oeuvre empruntant aux techniques de Picasso. La première lithographie de Pablo Picasso (Femme couchée, 1924) exposée ici, illustre l’héritage matissien dans l’épure de la ligne et la pause alanguie du modèle.
Leur rivalité est aussi attisée par les expositions : la même galerie parisienne qui enchaine une rétrospective dédiée à Matisse puis à Picasso ; leur travail confronté (et mis en pièces par la critique) lors d’une première exposition commune en 1918. Leurs oeuvres se retrouvent aussi dans la tristement célèbre exposition d’ « art dégénéré » de Munich (1937) organisée par des nazis désireux de faire triompher l’académisme le plus étroit. Enfin, à la fin de la guerre, le Viktoria & Albert Museum leur consacre une exposition commune à Londres.