Feu les arbres, 2020
En octobre 2019, Céline Moine m’a lancé un défi : travailler avec le feu, comme l’ont fait de très grands artistes, de Yves Klein à Bernard Aubertin. Mais c’est à Zhang Huan que j’ai pensé : à ses travaux monumentaux au cendre d’encens. Encens. J’ai mis un de mes fragments du Népal dans un porte-mine, je l’ai allumé, puis j’ai posé sa pointe incandescente sur un papier léger. J’ai regardé son minuscule auréole de feu s’allumer, puis s’éteindre, laissant un trou dont la couleur a voulu se mélanger à d’autres couleurs. J’ai peint aux crayons des parties de mon dessin, je les ai brûlées encore, faisant des traces de feu mes couleurs dominantes. Des arbres ont surgi, au moment où les arbres brûlaient sans cesse dans les forêts du monde. En détruisant le papier d’un geste patient, minutieux, méditatif, je créais une image de ma prière : Feu les arbres. Il nous faut les arbres. Cette prière se levait dans l’air, m’envoutant de son parfum violent. Mon esprit en était saisi, étourdi jour après jour, petit trou après petit trou. Jusqu’à la dernière brûlure. Le papier n’existe presque plus. L’image est ce vide qui s’épanouit parmi les restes de cette feuille légère, aussi fragile que l’équilibre de notre planète en flammes.
Je me tais. Pendant quelques jours je ne fais que contempler le travail de tant d’heures, tant de jours, mon matériel encore éparpillé sur la table. Puis je commence à ranger. J’enroule le grand rouleau de papier d’où j’avais découpé le morceau qui est désormais mon œuvre. Une partie du rouleau s’abîme pendant que je la remets dans sa boîte en carton. Je la froisse pour la jeter. J’ouvre ma main et je regarde cette boule de papier froissé : j’en vois les pliures fines et les transparences. Elle est belle. Comme autrefois pour les bâtonnets d’encens, je m’aperçois que ce morceau de papier n’a pas encore fait toute sa vie. Il murmure un désir de feu. Je lui donne de la couleur. Je le mouille, pour que le feu ne laisse en lui qu’une mémoire, une trace, une cicatrice le rendant plus délicat encore et d’autant plus merveilleux. Enfin, je le brûle. Je me rends ensuite dans les bois autour du Couvent de la Tourette, où je ramasse de petites branches. Peintes en blanc, unies à mes morceaux de papier froissé, brulé, teint par la vie, elles deviennent des tiges de fleurs. Fleurs de feu. Mais aussi d’eau, de vent, de terre.
Feu les arbres et Fleurs de feu (extrait), Marta Nijhuis, juillet 2020