Richard Leydier
ARTPRESS n°502; Septembre 20022
Du 9 septembre au 20 octobre 2022, en résonance avec la 16º biennale d’art contemporain de Lyon, Angélique de Chabot expose à la galerie lyonnaise LE 1111. L’artiste organise une procession dans les rues de la capitale des Gaules, puis en montrera les outils, masques et costumes hérités de sagesses antiques.
Angélique de Chabot est parisienne, mais son art est lié à la mer, en particulier à l’ile de Bréhat en Bretagne, où elle séjourne régulièrement. Elle y collecte des coquilles de moule, oursins, langoustes et homards qu’elle pêche en apnée et déguste avant que leur dépouille évidée ne fournisse la matière de sculptures qui sont comme des fétiches, des totems africains, parfois enfermés dans des vitrines en bois et verre à la facture entomologique, type musée d’histoire naturelle, fichés sur des tiges métalliques. Ce sont des sortes de créatures hybrides, animaux à plumes, coques, carapaces, tout à la fois mammifères, crustacés,oiseaux. Elles ne sauraient être répertoriées selon les taxonomies établies par Charles Darwin. Leur règne est autre. Elles ressortent du domaine de l’imaginaire et du mythe. Pour son exposition Il surgit du Nadir en septembre 2018 au château Malromé près de Langon, Angélique de Chabot avait réalisé un dragon. Dans la galerie longue d’une trentaine de mètres, au premier étage de cette demeure séculaire où mourut Henri de Toulouse Lautrec, la créature voguait dans l’espace, le corps émergeant par endroits du sol, comme un serpent de mer. Elle devait autant aux bêtes mythiques et démoniaques qui hantaient autrefois nos rivières, avatars de la vouivre, comme la Coulobre de la Sorgue, la Tarasque de Tarascon, ou le Babau de Rivesaltes, qu’aux représentations des dragons chinois qui parcourent bruyamment les rues à l’occasion du nouvel an asiatique. Le dragon d’Angélique de Chabot était le fruit d’un savant et patient agrégat arcimboldesque : coquilles d’huître, fibres de lin, coquilles de moule, bois brûlés qui formaient l’épine dorsale hérissée de la bête furieuse surgie du Nadir, qui est le point à l’opposé du zénith, enfoui dans le sol,ou, tout du moins, qui se matérialise de l’autre côté de la planète. Car les créatures de l’artiste sont résolument chtoniennes. Apparues il y a des millions d’années, elles paraissent avoir sommeillé longtemps dans les tréfonds du manteau terrestre, et l’on ne sait quel événement les a tirées de leur torpeur éternelle. Angélique de Chabot est également céramiste et peintre. Elle réalise de minimalistes capsules de terre cuite, qu’elle couronne de plumes, comme des coiffes indiennes. Elle est également l’auteur de grands tableaux abstraits, longs calicots peints à la manière tachiste sur les plages bretonnes, sous les rayons ardents du soleil et les bourrasques du vent du large. On compte enfin dans son corpus des tableaux figuratifs, mais c’est encore
un jardin secret.
HOMMES SAUVAGES
On évoque les dragons chinois, mais on pourrait aussi citer tous ces mythes d’hommes des bois ou hommes sauvages ressurgis ici ou là dans des villages, en Autriche, en Suisse, au Pays basque, et dont des locaux perpétuent la tradition en enfilant d’étranges costumes portés lors de processions folkloriques. Ces figures ont été abondamment photographiées par Charles Fréger ou Estelle Hanania. Les dernières expositions d’Angélique de Chabot, en particulier celle qu’elle envisage à Lyon, consistent ainsi en d’obscures cérémonies, aussi mystérieuses que les événements advenant dans les Impressions d’Afrique de Raymond Roussel. Les participants, grimés, forment Meute (1). Proférant des mots inconnus d’une voix rauque, ils effraient en marchant parmi les torches enflammées. Mais ils sont joyeux, ils n’ont d’autre but que de célébrer la vie. Puis, parvenus au terme du périple, ils enlèvent leur masque et, d’animaux mythiques, retrouvent subitement leur humanité. C’est là que commence l’exposition à proprement parler, dans la galerie, où l’artiste dispose costumes et masques comme des reliques. Ces masques ont une structure en cuir, mais l’on y trouve des crânes d’animaux, des carapaces de homard, des bois calcinés, des plumes de faisan, des coquilles de couteau, des pinces de langoustine… Venus de temps très anciens ou du futur à la suite d’une pandémie mondiale ou de l’explosion de la bombe, ils maintiennent les officiants à la lisière du sacré et du burlesque. Et surtout dans un entre-deux, entre l’humain et l’animal. On soulignera ici la dimension chamanique de la démarche. La meute des loups, lâchée dans les rues et sur les places lyonnaises, s’autorise tous les débordements car elle jouit de l’anonymat du déguisement, sur le mode carnavalesque. Le temps de la procession, il n’y a plus vraiment de règles, mais on redevient soi-même à son issue. On sort de l’état de transe. On s’éveille comme le dragon. Et cet éveil est bien sûr aussi hypnotique que
spirituel.
1 Cette performance a été jouée pour la première fois dans la Bastide du Jas de Bouffan (propriété de Paul Cézanne) lors de la biennale Une 5° saison, puis pour le lancement d’Art-o-rama à Marseille fin août.
Angélique de Chabot
Née en born in 1988 à in Versailles
Vit et travaille à lives and works in Paris
Expositions personnelles récentes
Recent solo shows:
2022 Biennale d’Aix-en-Provence;
Galerie Arti, Marseille; Galerie LE 1111, Lyon
2020 Maison nomade, Paris
2018 Château Malromé, Saint-André-du-Bois
2017 Cabinet Dante, Paris
2015 Atelier Mano, Paris
2014 Flaq, Paris
VERSION ANGLAISE :
From September 9th to October 20th, 2022, in resonance with the 16th Biennale of Contemporary Art in Lyon, Angélique de Chabot will be exhibiting at the LE 1111 gallery, located in the same city. The artist will organise a procession in the streets of the capital of the Gauls, then display the tools, masks and costumes inherited from ancient wisdom.
Angélique de Chabot is Parisian, but her art is linked to the sea, especially to the island of Bréhat in Brittany, where she is a regular visitor. She collects mussel shells, sea urchins, crayfish and lobsters that she fishes with a snorkel and eats before using their hollowed- out remains as the material for sculptures that are like fetishes or African totems, sometimes enclosed in wooden and glass display cases, reminiscent of entomological specimens, a kind of natural history museum displayed on metal rods. They are hybrid creatures, feathered animals, cockles, shells, simultaneously mammals, crustaceans, and
birds. They elude Darwinian taxonomies. Their kingdom is another. They come from the realm of imagination and myth. For her exhibition Il surgit du Nadir, held in September 2018 at Malromé Castle near Langon, Angélique de Chabot made a dragon. In th 30-metre-long gallery, on the first floor of this centuries-old house where Henri de Toulouse-Lautrec died, the creature drifted in space, with its body emerging in places from the ground, like a sea snake. It owed as much to the mythical and demonic beasts that once haunted our rivers, the avatars of the vouivre, like the Coulobre in the Sorgue, the Tarasque in Tarascon, or the Babau in Rivesaltes, as to the representations of Chinese dragons which noisily roam the streets during Chinese New Year. Angélique de Chabot’s dragon was the product of a skilful and patient Arcimbold-esque assembly: oyster shells, flax fibres, mussel shells, and burn wood that formed the bristling spine of the furious beast that arose from the Nadir, the exact opposite of the zenith, buried in the ground, or at least materialised on the other side of the planet. For the artist’s creatures are resolutely chthonian. Dating back millions of years, they appear to have lain dormant in the depths of the earth’s mantle, and it is unclear which event has roused them from their eternal torpor. Angélique de Chabot is also a ceramist and a painter. She creates minimalist terracotta capsules crowned with feathers, like Indian headdresses. She is also the author of large abstract paintings, long sheets of calico painted in the tachist manner on the beaches of Brittany, under the fiery rays of the sun and the gusts of the sea breeze. Her body of work also includes figurative paintings, but these remain a secret garden.
WILD MEN
We have alluded to Chinese dragons, but we might also mention all the myths of woodsmen or wild men who resurfaced here or there in villages, in Austria, in Switzerland, in the Basque Country, where locals continue the tradition by donning strange costumes worn during folklore processions. These figures have been extensively photographed by Charles Fréger and Estelle Hanania. Angélique de Chabot’s latest exhibitions, especially the one she is preparing in Lyon, therefore consist of obscure ceremonies, as mysterious as the events in Raymond Roussel’s Impressions of Africa. The participants, dressed up, form Pack (1). Uttering unfamiliar words in hoarse voices, they are frightening as they walk amongst the burning torches. But they are joyful, they have no other purpose than to celebrate life. Then, at the end of the journey, they take off their masks, and from having been mythical animals, they suddenly resume their human forms. This is where the exhibition itself begins, in the gallery, where the artist displays costumes and masks like relics. These masks have a leather structure, but there are also animal skulls, crayfish shells, pieces of charred wood, pheasant feathers, razor-clam shells, lobster claws… Plucked from the distant past or from a future following a global pandemic or a bomb blast, they officiate at the threshold between the sacred and the burlesque. And above all in a liminal space, between the human and the animal.The shamanic dimension of the artist’s approach must be emphasised. The pack of wolves, unleashed in the streets and on the squares of Lyon, indulges in all kinds of excesses because it enjoys the anonymity of disguise, as during a carnival. As long as the procession lasts, there are no rules, but we become ourselves again at the end. We leave the state of trance. We wake up like the dragon. And naturally, this awakening is as hypnotic as it is spiritual.
Translation: Juliet Powys
1 This event was first performed in the Bastide du Jas de Bouffan (a property of Paul Cézanne) during the biennale Une 5° Saison, and then again for the launch of Art-o-rama in Marseille at the end of August.