La petite galerie-appartement le 111 présente une quinzaine de gravures et de lithographies de Picasso et de Matisse. L’occasion de s’attarder, hors des foules des grandes expositions muséales sur quelques aspects du travail des deux grandes figures de la modernité.
Article de Jean-Emmanuel Denave pour Le Petit Bulletin de mai 2019.
En 1905, Picasso est a Paris depuis un an. Age de 24 ans, en couple avec Fernande Olivier, il voit la vie, et ses toiles, en rose, après une période bleue mélancolique (1901-1904) et le deuil de son ami suicide Carlos Casagemas. Il dessine et il peint alors beaucoup le monde du cirque, des clowns, des acrobates, des dompteurs, ou encore cette figure qui le fascine tant, Arlequin.
À Paris, Picasso fait ses debuts aussi dans les techniques de la gravure et l’on retrouve, dans trois estampes presentees au 1111, des arlequins et le monde des saltimbanques. Picasso y représente notamment la scene biblique de la danse de Salomé devant son père Hérode, Salome qui se trémousse en échange de la tete décapitée et placée sur un plateau de Jean Baptiste.
Il y a la encore une maladresse touchante dans la composition de cette scene, avec une danseuse executant nue un grand écart sur pointe, devant un Hérode, aussi adipeux qu’œdipien. Le sexe, la mort, la transgression, le corps dans tous ses états : bien des elements de l’œuvre a venir de Picasso sont presents dans cette petite gravure, a la fois hiératique et mouvementée.
Le trait et le neant
D’autres gravures exposées au 1111 couvrent plusieurs périodes de l’artiste d’origine andalouse (période cubiste, période bleue….) jusqu’à ses œuvres ultimes du début des années 1970 ou Picasso rend hommage a ses amis et a ses maitres en peinture. Mais, là ou l’exposition prend un tour émouvant autant que passionnant, c’est dans la confrontation toute simple d’estampes de Matisse aux côtes de celles de son frère ennemi Picasso.
Au regard de Picasso, il y a chez Matisse comme un silence, un dépouillement et une sobriété qui font événement plastique. Ce sont par exemple deux nus féminins en un minimum de traits, ou bien une étude de visage de la Vierge faite de peu de lignes. On se rend compte alors, davantage peut-être que dans ses toiles peintes, que Matisse dessine « au-dessus » du vide, et que la figure humaine est, chez lui, comme un miracle, une apparition éphémère entre deux abimes.